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vendredi 27 avril 2012

"Zahra's paradise"


Il est des pays où les élections présidentielles ne se passent pas aussi bien qu'en France, des pays où  "république" et "démocratie" sont à peine plus que des mots notés dans la constitution.

Zahra's paradise est une œuvre de fiction mais cette bande dessinée est directement inspirée de tristes faits bel et bien réels : les répressions des manifestants qui ont défilé dans les rues de Téhéran aux cris de "Où est mon vote ?", en contestation aux résultats des élections présidentielles iraniennes de 2009.

Bienvenue en Iran, pays de la censure et des droits de l'homme bafoués, 2ème pays au monde (derrière la Chine, toujours loin de devant) ayant procédé au plus grand nombre d'exécutions en 2010 (cf dernier rapport d'Amnesty international),...
La pendaison par grue, vous ne connaissiez pas ?
Moi non plus, c'est un concept inventé en Iran.

Les auteurs, Amir et  Khalil, tiennent à conserver leur anonymat pour l'instant. L'un est un journaliste irano-américain qui milite pour les droits de l'homme. Il a quitté l'Iran vers l'âge de 12 ans, peu après la révolution de 1979. L'autre, le dessinateur, n'est pas iranien mais il est arabe et cotoie de nombreux iraniens. Il s'est senti fortement concerné par les évènements qui se sont déroulés en Iran en 2009.

Ils ont tout d'abord publié Zahra's paradise sur internet, via ce blog, dans une dizaine de langues. L'histoire a été suivie par des milliers de personnes à travers le monde et saluée par la presse internationale.


L'Iran est une république islamique depuis la Révolution de 1979. République n'est pas synonyme de démocratie, et révolution n'est pas non plus synonyme d'évolution, il est important de le rappeler.
République oui, mais une république théocratique qui repose sur la souveraineté du peuple mais aussi sur la volonté divine. Pas besoin de vous expliquer qui a le dessus sur l'autre. Le chef de l'Etat, celui qui finalement a tous les pouvoirs, est le Guide de la révolution, aussi appelé Guide Suprême, qui est nommé à vie. C'est le plus haut responsable politique et religieux du pays. De 1979 à 1989, c'était l'ayatollah Khomeiny et depuis, lui a succédé l'ayatollah Khamenei.
Le peuple élit le président de la République, certes, mais il ne faut pas se leurrer, tout est contrôlé, avalisé par les organes religieux, notamment le parlement qui est supervisé par un Conseil des gardiens de la Révolution. Le 12 juin 2009, le président sortant Mahmoud Ahmadinejad a été réélu avec 63% des votes mais les résultats ont très vite été contestés par des nombreux Iraniens et les autres candidats. S'ensuivent des manifestations de masse à Téhéran et dans tout le pays, que les médias étrangers n'ont pas le droit de couvrir.

12 juin 2009 : élections présidentielles
13 juin 2009 : résultats officiels : le président sortant, Ahmadinedja sort vainqueur 
avec une nette majorité de 63 %
"Où est mon vote ?" se demandent des millions de manifestants 

La répression sévit mais c'est sans compter sur les nouvelles technologies (téléphones portables, etc.) qui rendent possible la diffusion des images à l'échelle planétaire, pour qui sait déjouer la censure iranienne.
Ainsi, les images du dernier souffle de Neda Aghan Soltan, jeune femme iranienne tuée par balle en pleine rue, ont fait le tour du monde...


Ces manifestations sont certainement les plus importantes en Iran depuis la Révolution de 1979.

"Zahra's paradise" est le nom du gigantesque cimetière de Téhéran, lieu où se termine cette BD. Il doit son nom à Zahra, la fille du prophète. C'est aussi le prénom d'une mère, celle de Medhi, qui va avoir de cesse que de retrouver la trace de son fils disparu depuis les manifestations du 15 juin 2009 auxquelles il a participé.
Elle est aidé par son autre fils, Hassan, armé de son ordinateur et d'internet.

Ils cherchent d'abord Medhi dans les hôpitaux...



... à la prison d'Evin, où de nombreux opposants politiques ont croupi et croupissent encore...
au tribunal révolutionnaire...
A chaque fois, ils se heurtent aux fonctionnaires du régime islamiste, pas vraiment coopératifs...

Ils finissent par savoir que Medhi a été emmené par les bassidji, des gardiens de la révolution (milice à la solde du pouvoir islamiste), à Kahrizak, un centre de détention illégal où on envoyait tous les "fauteurs de troubles" à l'ordre islamique considérés comme des "hooligans", tels que les prostituées, les trafiquants, etc. De nombreux témoignages attestent des conditions effroyables de détention à Kahrizak : tortures, tabassages, viols, cellules infectes...
On a commencé à entendre parler de cette prison quand les manifestants de 2009 y ont été emmenés.
Scandale national.
Elle a alors été rapidement fermée par l'ayatollah Kamenei.

Rien n'est inventé, tout est basé sur des témoignages recueillis notamment
 par Roya Boroumand, co-fondatrice de la FAB (Fondation Abdorrahman Boroumand)
organisation créée en 2001 à Washington dans le but de promouvoir 
les droits de l'homme et la démocratie en Iran

Quand on lit certains passages de la lettre adressée par le président Ahmadinedja en 2006 à George Bush, au sujet des prisons secrètes, on se dit que c'est vraiment l'hôpital qui se fout de la charité, et plutôt deux fois qu'une !

Je n'en dévoilerai pas plus sur l'histoire, qui bien que basée sur des faits réels et avérés, comporte sa part romancée.
NB : A la fin de la BD, les auteurs ont ajouté plusieurs pages d'informations : lexique, chronologie des élections de 2009, information sur la FAB, etc.
Très utile, très instructif !
J'ajouterai que vous avez tout intérêt à lire ces pages en premier pour mieux comprendre la BD.

Moi qui ne suis ni plus ni moins qu'une citoyenne lambda, pas vraiment au fait de l'actualité internationale (j'essaie de suivre pourtant...), je remercie tous ces auteurs qui œuvrent à la transmission et à la pérennité des informations.
Un livre que toute bonne bibliothèque se devrait d'acquérir, sans l'ombre d'une doute.



Pour en savoir plus : une interview très instructives des auteurs, ici + un article sur le centre de détention de Kahrizak,

2 commentaires:

  1. Ok, je note même si je ne lis quasiment jamais de BD.

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    1. Moi aussi, avant, je ne lisais jamais de BD.
      Mais celles qui appartiennent au genre du "roman graphique" réconcilient vraiment (et innovent, réinventent) avec la bande-dessinée.
      Celle-ci est particulièrement instructive.

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