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vendredi 8 août 2014

"La condition pavillonnaire" de Sophie Divry, un exercice de style parfaitement maîtrisé



Après nous avoir surpris avec sa petite cote 400, Sophie Divry réalise avec La condition pavillonnaire un nouvel exercice de style, plus long et impeccablement mené du début jusqu'à la fin.
Rédigeant son roman à la deuxième personne du singulier (très surprenant !), elle retrace la vie d'une femme, de sa jeunesse à sa mort.
M.-A., née dans les années 50, jeune fille et jeune femme idéaliste, qui rêve d'aventure et de grands sentiments, quitte sa province pour aller faire des études de commerce à Lyon. C'est dans cette ville qu'elle rencontre son futur mari, François. Ensemble, ils s'installent ensuite vers Chambéry, se marient, travaillent,  achètent une maison... un pavillon à la campagne, font des enfants.
Etc, etc... Tout ce qui peut faire une vie et la "condition" d'une femme.
M.-A. a semble-t-il la vie dont elle rêvait mais les années passant, l'insatisfaction et un certain ennui la gagnent. Alors elle se cherche des occupations mais se lasse vite, veille à ce que le planning de sa semaine soit toujours rempli pour meubler les vides...
Extrait p. 123 :
   "Dès le mois de janvier tu réservais l'appartement à Cassis ou à La Ciotat, tu te demandais si tu n'allais pas faire un stage de jardinage ou repeindre le couloir dans des tons plus foncés. Tu te cherchais un but, même petit, même stupide, quelque chose qui serait comme une balise pour animer ce calendrier, un mot au feutre noir, qui marquerait un avant et un après. Ta soif se nourrissait même de petits accidents. On t'appelait de la crèche, Nathalie était tombée ; la visite chez le médecin ; ton cœur battant plus fort ; le diagnostique rendu, » Rien de grave madame ». Tu rentrais à la maison, sa petite face pâle, tu allais la coucher, au repas du soir tu racontais l'événement à François. Il t'écoutait les yeux vifs. Cette semaine se surélèverait, ce serait la semaine où Nathalie était tombée à la crèche. Même les choses désagréables sont bonnes à prendre pour éloigner le vide."

Dans cette vie bien réglée, l'irruption d'un amant dans sa vie fut le plus grand événement.
L'histoire de M.-A. se révèle sans surprise et vous qui me lisez pourriez penser que tout cela n'a pas l'air très passionnant. J'ai moi-même craint à certains moments de commencer à m'ennuyer mais non ! L'auteure a l'art de raconter la vie de son personnage avec une précision assez captivante.

C'est un roman qui va parler à beaucoup de femmes, à n'importe quel âge de leur vie. L'histoire de cette madame tout-le-monde pointe des réalités et des interrogations quotidiennes auxquelles nous avons toutes ou seront toutes confrontées un jour ou l'autre.
Peut-on se satisfaire à long terme d'une vie tranquille et bien ordonnée ? Comment arriver à trouver sa plénitude dans la routine familiale et amoureuse ?
En sommes-nous capables ?
Où trouver son épanouissement personnel ?
À chacune de voir au fond d'elle.
Sophie Divry ne donne pas de réponse. Elle fait juste un constat.
Elle excelle dans l'art de dépeindre, de décortiquer les petites choses du train-train, la routine familiale, ainsi que quelques progrès technologiques qui ont pu traverser les dernières décennies.
J'ai en mémoire certains passages sur la voiture, la machine à laver, les courses au centre commercial, ainsi que le café Nespresso pris entre copines le samedi... délicieux passage !
Extrait p. 228 :
   "Mais avant cela ; tu te souviens du jour où tu achetas au Grand Pont une machine à café de marque Nespresso, le modèle compact valant cent cinquante euros. Excitée par cette acquisition, tu as l'idée de téléphoner à Sidonie et de l'inviter à prendre le café. [...]
    Vous commenciez par choisir une capsule en aluminium ; café Brésil, café Cuba ou café Uruguay ; et la glissiez sous le capot métallique ; tu appuyais sur un bouton. Quel plaisir de voir la diode rouge, si design, s'allumer tandis que dans un vrombissement le processus de percolation s'enclenchait. Chacune parlant à son tour, exposant ses problèmes, c'était un peu comme chez Cassale [son psy], tu énumérais tes petits tracas, sauf qu'ici le public se montrait plus chaleureux ; il y avait des rires. Le café qui sortait de la machine était noir, lourd en bouche, aux aromatiques puissants, il rendait plus précieux ces moments entre vous.
     Et, quand les tasses étaient posées sur le plateau avec des sucreries, quand dans une débauche de paroles vous faisiez le tour de votre semaine, vos anecdotes révélaient une dimension inattendue ; grâce aux conseils de l'une ou de l'autre, vous entrevoyiez sous des événements minuscules une grande richesse psychologique ; vous vous réjouissiez de découvrir cette profondeur, à croire qu'en soumettant vos existences de femmes à de tels décorticages, vous tiriez bénéfice, toutes à présent ménopausées, d'un exhausteur de goût.
     Jamais avec Sidonie on ne pouvait parler longtemps chiffons. Très vite cette femme élégante abordait des sujets de société. [...] le moment où tu humais l'odeur amère du café, corsé, lungo ou dolce, juste avant de chercher des arguments pour la contredire, de poser ta lèvre inférieure sur le bord de la tasse, geste s'accompagnant d'une très légère brûlure sur la langue ; puis sentir le liquide couler dans la bouche. Cette seconde, tu le savais maintenant, était un bonheur complet. [...] à mi-tasse, la couleur sombre du café devenait légèrement translucide, un cercle de lumière apparaissant dans la profondeur du liquide, et la crème beige, au début homogène, se disloquait en archipels de taches dérivant vers les bords. Tu aimais beaucoup Sidonie. Elle avait eu plusieurs maris et t'impressionnait par sa culture. Un samedi où vous étiez seules, tu lui racontas ton aventure avec Philippe. Tu lui brossas le tableau d'une passion virevoltante, aux escapades sensuelles nombreuses finissant par un terrible drame. Pour la première fois, tu sentis Sidonie en admiration devant toi. C'est là qu'il est bon d'avoir un véritable expresso, pour que ce genre de moment soit plus intense ; tu penches la tête à droite, à gauche, répondant en laissant passer des silences pour faire durer cet instant d'intimité ; tu hésites avant de finir la tasse, au fond de laquelle s'accumule une nuée de grains noirs décantés ; enfin tu achèves de raconter et de boire."

Ce roman m'a été proposé par babelio et les éditions Noir sur blanc que je remercie.
Et bravo pour cette belle édition que j'ai adoré tenir entre mes mains !
Le papier est légèrement jauni, de même que la couverture (à laquelle ma photo ne rend pas tout à fait hommage) très graphique, le tout propre à la collection Notabilia semble-t-il (clic).

2 commentaires:

  1. En voilà un qui m'attire beaucoup, ne serait-ce que pour l'exercice de style !

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  2. J'ai mis ce roman dans mon sac cet automne, et j'ai bien fait! Certaines pages sont angoissantes, il faut bien l'avouer, mais l'ensemble est fort, très fort même...

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