Les autres pages...

vendredi 23 mars 2012

Lire Delphine et Voir Lucile...

C'est d'abord une couverture qui captive...


Puis un texte qui nous happe.

Delphine de Vigan retrace ici l'histoire de sa mère, Lucile, dont on sait dès le départ qu'elle vient de se suicider. Elle raconte son enfance émaillée de drames au sein d'une grande fratrie, sa vie de jeune femme et de jeune mère, très vite atteinte de trouble bipolaire (elle semble devenir folle) pour lequel elle sera traitée durant toute sa vie (dont 10 années de camisole chimique), et de jeune grand-mère ayant eu la force de se reconstruire mentalement et de se reconvertir professionnellement.
Pour ce faire, elle a effectué un gros travail de recherche dans la mémoire familiale, basé sur les multiples interviews des frères et soeurs de sa mère, sur des écrits (lettres, journaux intimes) et sur des archives vidéos. Son but étant de rendre compte le plus objectivement possible de la vie de sa mère.

"Malraux disait que la vocation essentielle de l’écrivain est de rendre compte.  C’est ce que vous dites avoir voulu faire de la vie de Lucile. Peut-on être comptable d’une vie ?
J’aime beaucoup cette idée, et je crois qu’elle est valable pour tous mes livres, même si je pense que c’est une forme d’illusion. Je ne crois pas qu’on rende compte d’une vie au sens comptable, méticuleux, ou objectif du terme. Mais j’ai sans doute espéré rendrecompte dela vie de ma mère, au sens le plus subjectif et pictural du terme. C’est une interprétation, une reconstitution fabriquée à partir de mes propres motifs, à partir de la couleur de mes propres souvenirs, auxquels j’ai tenté d’ajouter d’autres motifs, d’autres couleurs qui venaient des autres, et de ma mère elle-même, notamment à travers ce qu’elle avait écrit." (source : chroniques littéraires de la rentrée).
Je n'en dirai pas plus sur le contenu de ce livre et je vous invite à lire la critique de Bulles d'infos que je trouve parfaite.

J'ai beaucoup aimé ce livre et j'avais du mal à le lâcher. Pour autant, je n'irais pas jusqu'à dire qu'il m'a passionnée ni bouleversée. Non, ce ne serait pas approprié. Peut-être parce que l'histoire est bien trop personnelle. On sent tellement l'implication intime de l'auteure dans son travail d'écriture que ça en arrive à être un peu perturbant. 
Régulièrement tout au long de l'ouvrage, des chapitres entièrement tournés sur sa propre réflexion, son approche du travail de compte-rendu qu'elle est en train d'élaborer, sur son travail d'écriture (bref, ses états d'âmes), entrecoupent ceux consacrés à la narration à proprement parler. Elle nous fait partager alors ses doutes, ses peurs, face à son histoire familiale et sa potentielle part héréditaire et comment la nécessité d'écrire sur le sujet s'est imposé.

extrait p. 349 : "Quoi que je dise et fanfaronne, il y a une douleur à se replonger dans ces souvenirs, à faire resurgir ce qui s'est dilué, effacé, ce qui a été recouvert. A mesure que j'avance, je perçois l'impact de l'écriture ( et des recherches qu'elle imposent), je ne peux ignorer le facteur majeur de perturbation que celle-ci représente pour moi. L'écriture me met à nu, détruit une à une mes barrières de protection, défait en silence mon propre périmètre de sécurité. Fallait-il que me sente heureuse et forte et assurée pour me lancer dans une pareille aventure, que j'aie le sentiment d'avoir de la marge, pour mettre ainsi à l'épreuve, comme si besoin était, ma capacité de résistance."

Ce livre est néanmoins un livre que l'on n'oublie pas et qui laisse des marques plusieurs jours après l'avoir refermé. La marque d'un bon livre pour moi. Qui plus est, il est plutôt bien écrit, mais de là à le porter aux nues...

Pour le prolonger, j'ai envie d'attirer votre attention sur le reportage télé qui a été consacré à la famille de Lucile, la mère de Delphine. Elle nous parle à la p. 173  de ce documentaire diffusé en février 1969, sur la première chaîne de l'ORTF, dans l'émission Forum, consacrée ce jour-ci aux rapports parents-adolescents.
Un reportage d'une vingtaine de minutes vient clôturer l'émission. On peut y voir les parents de Lucile, ses frères et soeur et elle-même. Seuls les prénoms sont différents du livre. Ce sont les vrais.

Les parents et les soeurs de Lucile

Je pense ne pas être la seule à avoir eu la curiosité d'aller sur le site web de l'INA pour rechercher cette vidéo. Elle est accessible ici, en téléchargement payant pour quelques euros.
Seul les 8 premières minutes sont visibles en accès libre et le reportage consacré à la famille de l'auteur est situé tout à la fin, au bout d'une heure.

Je vous recommande cette vidéo si vous avez aimé le livre. Vous y trouverez une nouvelle lumière sur l'univers et la famille au sein desquels Delphine de Vigan a voulu nous faire pénétrer.

Je me suis rendue compte qu'elle ne mentait pas quand elle nous parle dans son livre de la beauté captivante de sa mère. Et c'est vrai. C'est bien ce qui se dégage à l'écran. Cette même aura qui se dégage de la photo sur la couverture...

Voir Lucile...

La famille nous est présentée, non pas comme une famille dont le modèle d'éducation est donné en exemple - et c'est bien précisé par la voix off - mais plutôt comme un sujet qui porte à réflexion.

p.176 : "Le reportage donne à voir une famille joyeuse, unie, où la priorité a été donnée à l'autonomie des enfants et à l'épanouissement de leur personnalité."
Les enfants expliquent à tour de rôle toute la liberté dont ils disposent pour sortir, aller voir ce qu'ils désirent au cinéma, se rendre à Paris seuls, etc.

Il est troublant de regarder ce reportage après avoir lu livre de Delphine de Vigan. On ne peut pas s'empêcher de se dire, en pensant aux téléspectateurs de l'époque, "si ils savaient..."
Que dire de cette liberté accordée aux enfants au titre de la confiance qu'on leur donne parce que c'est constructif (très bien sur le principe) quand on sait qu'une fois, les parents sont partis en week-end, à Londres, il me semble, laissant  les enfants seuls chez eux, aux bons soins des aînés, qui n'avaient pas plus de 11 ans ?
Et comment ne pas halluciner quand on entend Lucile expliquer qu'elle aura peur pour ses enfants, qu'elle n'osera jamais laisser les laisser prendre seuls le métro et que l'on sait comment ses filles ont été livrées à elles-mêmes quand elle était toute la journée au travail sur Paris ou enfermée à la maison, dans sa chambre, abrutie par le cannabis ?

Même s'il est bien précisé que cette famille n'est pas donnée en exemple, elle est tout de même présentée de manière très idéale et le bonheur semble rayonner sur tous ses membres.
Troublant. Oui, très troublant quand on vient juste de refermer le livre.

Pour finir, je vous invite à lire quelques critiques qui ne sont pas dithyrambiques sur le livre et dans lesquelles j'ai trouvé de la justesse : ici, ici et et

"Il ne faut pas lire ce livre en espérant lire une œuvre littéraire élaborée, on serait déçu. C’est un très beau témoignage, et il faut le prendre comme tel, sans lui en demander plus." (source) 


21 commentaires:

  1. Ton billet est très juste, et je n'avais pas osé franchir le pas d'aller regarder ce reportage. Pour moi, cette lecture a été vraiment bouleversante et a fait raisonner chez moi des choses liées à mon expérience personnelle et que j'avais préféré oublier. Lucile est très belle, en effet.

    RépondreSupprimer
  2. Bilan plutôt mitigé pour ma part... D'un côté, j'ai trouvé ce livre d'une force inouie et d'une beauté incomparable, mais j'ai aussi eu envie d'arrêter parfois cette lecture que je trouvais trop intimiste, trop dure aussi... En tous cas, il restera un bon moment dans ma tête.

    RépondreSupprimer
  3. Merci pour ton billet et le lien.

    RépondreSupprimer
  4. Ton billet est vraiment intéressant et détaillé comme souvent :)
    Étonnant, alors que je travaille à l'Ina, je n'avais jamais pensé à aller chercher ce reportage alors que moi aussi je voulais voir des images de Lucile après avoir terminé ce livre. Donc merci pour l'idée ;-) (et merci pour le lien sur mon post).

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu m'étonnes aussi ! J'étais persuadée que tu connaissais la vidéo.
      N'y aurait-il que moi qui aie une âme d'enquêtrice ? ;-)

      Supprimer
    2. Je sais pas... une défaillance de ma part. Ceci dit tu es une enquêtrice hors pair ;-)

      Supprimer
    3. J'ai peut-être ça dans le sang, qui sait ? ;-)
      Quand j'étais plus jeune, avant de vouloir faire bibliothécaire ou libraire, je voulais devenir (secrètement) détective privé ou agent de la DST (j'étais bien branchée roman policier à l'époque) et j'étais assez peinée quand ma copine se moquait de moi.
      Je me rattrape maintenant !

      Supprimer
  5. Ce roman fut bouleversant, déchirant.
    Moi non plus, je n'irai pas jusqu'à regarder la vidéo du reportage.
    J'ai le sentiment d'être suffisamment rentrée ds cette famille qui n'est pas la mienne et qui un "lourd" passé.
    J'ai trouvé son écriture superbe, avec une justesse....

    RépondreSupprimer
  6. intéressant billet qui prolonge la lecture de cette heureuse découverte, ce livre, intime, fort, troublant, remuant, qui m'a touché tant par l'histoire familiale, le sujet, que par sa réflexion vive sur la difficulté de la biographie, du travail d'écriture.
    la couverture oui, et le titre du livre, qui m'ont longtemps poursuivis sans en connaître le thème avant que je ne me lance à sa rencontre.
    en tous cas merci pour le lien avec l'émission de 1969... je ne pense pas qu'il y ait là le moindre malaise à suivre cette famille, personnellement je n'en connais aucune qui n'ait son lot d'histoires cruelles, de blessures tues, son lourd passif. celle-ci raisonne, par la délicatesse du style de l'auteur, avec toutes les autres qui ne seront jamais racontées et que chacun porte en soi.
    peut-être me suis-je senti un peu plus concerné et ému par ce texte étant moi-même sujet aux affres du trouble bipolaire.
    on tremble parfois à l'idée de sombrer à nouveau, comme Lucille, dans de nouvelles rechutes, de n'avoir pas la lucidité, le traitement adéquat, pour les prévenir... sans oublier sa fin, tragique ou lucide, qui sait, un choix suprême parfois.
    ces témoignages de proches ou d'expériences personnelles, au-delà des appréciations de spécialistes, sont aussi indispensables à la reconstruction, la prise de confiance en soi d'un malade, qu'un bon traitement, une psychothérapie.
    emmanuel.

    RépondreSupprimer
  7. J'ai aussi beaucoup ce livre...et simple curiosité, c'est quoi le vrai nom de "Lucile Poirier"?

    RépondreSupprimer
  8. Dommage mais c'est bizarre que même en regardant ce reportage, on ne le sache pas... ni même le nom de la famille interviewée...?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je n'ai pas revisionné le reportage en entier mais il me semble qu'on ne donne que les prénoms. Et le vrai prénom de la mère de Delphine est Priscille.

      Supprimer
  9. Bonjour !!
    Je viens d'acheter le reportage sur ina.fr ! Est ce normal qu'il n'y est pas de son ?

    Merci d'avance pour votre réponse ;)

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je ne pense pas. Moi, j'ai du son sur la vidéo que j'achetée.

      Supprimer
  10. Merci ! En effet il y a du son, ça a du beuguer !

    RépondreSupprimer
  11. Magnifique livre qui m'a habitée plusieurs jours après l'avoir lu. Merci pour ces images que je n'avais pas eu l'idée de chercher ! ça m'a fait plaisir de les découvrir :-)
    Je vais mettre un lien vers tes images depuis le billet que j'avais écrit sur ce roman ;-)

    RépondreSupprimer
  12. Merci beaucoup pour le lien reportage que je compte voir. Je suis en train de lire le livre qui me touche aussi beaucoup

    RépondreSupprimer
  13. Very interesting, very touching Lucile...

    RépondreSupprimer
  14. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer