dimanche 6 octobre 2019

Août 61... Qu'est-ce que ça vous évoque ?

C'est la question que je me suis posée quand les éditions Albin Michel m'ont contactée en septembre afin de me proposer la lecture du nouveau roman de Sarah Cohen-Scali.
Bien sûr, il suffit de lire la quatrième de couverture pour avoir la réponse mais de prime abord, août 1961 n'est pas une date historique qui parle au commun des mortels.


Et c'est tout l'enjeu de ce roman : nous faire redécouvrir, ou découvrir, une période de l'histoire européenne qui n'est pas des plus médiatiques. Août 61, c'est la construction du mur de Berlin, brutale et violente. En une nuit, des barbelés sont installés sur la ligne de démarcation. Le mur "en dur" suivra très vite. Par le biais d'une histoire d'amour au long cours et d'une intrigue romanesque, Sarah Cohen Scali nous fait revivre cette période très froide de l'Allemagne et offre aux jeunes lecteurs à qui elle s'adresse (ce livre est conseillé à partir de 15 ans) et dont elle aura su susciter la curiosité intellectuelle, une porte d'entrée sur l'Histoire, avec un grand H.

Alors il n'y a pas que ça dans le roman et la première grosse moitié du livre balaie une période qui démarre en 1945 mais tout concourt pour nous mener à Berlin, en août 1961...


Ben a 83 ans et est atteint de la maladie d'Alzheimer. Il ne reconnaît plus ses proches, notamment une jeune femme qui vit avec lui. Ses "moi" plus jeunes vont s'inviter, venir dialoguer avec lui dans sa tête afin de rafraîchir cette mémoire vacillante.
C'est donc avec le récit à la première personne des anciens "moi" de Ben que nous entamons cette lecture. Le jeune Beniek prend la parole. Alors âgé d'une dizaine d'années, il a survécu aux camps de concentration et aux marches de la mort. A la libération, il atterrit d'abord dans un camp de personnes déplacées, puis dans un orphelinat, près de Munich, qui accueille principalement des enfants et adolescents juifs rescapés des camps. C'est là qu'il fait la connaissance de la lumineuse Tuva, une enfant née dans un Lebensborn norvégien, dont l'histoire, bien que différente de la sienne, est tout aussi douloureuse. Un amour indéfectible naît entre les deux enfants.
Au fil des pages et des dialogues intérieurs entre le Ben d'aujourd'hui et les Ben version plus jeune, son histoire se déroule. Il émigre tout d'abord en Angleterre, puis en France. Il finit par retrouver la trace de Tuva qui, après un parcours très chaotique,  vit désormais à Berlin-Est.
Nous voici arrivés en août 1961 et en pleine scission "matérielle" de Berlin. Le récit va alors changer de tournure.
Exit la parole et le point de vue de Ben et ses alter ego, c'est une personne féminine qui reprend le récit (pour l'instant une inconnue pour Ben et pour le lecteur) pour nous raconter la suite de l'histoire, très focalisée désormais sur Tuva.

Mon point de vue :
Le récit est composé de deux parties d'intérêt inégal. Avant août 61 et après août 61. L'histoire de Ben, puis l'histoire de Tuva. J'avoue avoir trouvé un peu longue parfois ce que j'appelle la première partie (composée en réalité des trois premières parties du livre) centrée sur Ben, et un peu compliquée à suivre à certains moments, ceci dû à la lourdeur narrative provoquée par la confusion entre le Ben actuel et ses anciennes versions.
Cette première partie du livre est néanmoins émaillée de points de vue très judicieux, propres à éveiller les consciences des jeunes lecteurs, et des moins jeunes, sur les parallèles que l'on peut faire entre les migrations d'après-guerre et celles de nos jours. C'est du moins ce que j'en retiens.

Extrait p. 61 : dialogue intérieur entre Ben et son alger go plus jeune, Beniek, qui découvre un camp de réfugiés en plein Paris... L'Histoire recommence...
"J'ai besoin que tu m'expliques ce qu'est cet endroit, Ben.
Un camp de Personnes déplacées ? En plein Paris ? Je les ai en horreur, ces maudits camps ! William et moi y avons séjourné pendant des mois après la libération, c'était affreux, nous avons juré que plus jamais nous n'y remettrions les pieds. [...]
C'est bien un camp de Personnes déplacées, ou plutôt un campement sauvage de réfugiés, m'affirmes-tu d'une voix si ferme que je ne peux plus mettre en doute tes paroles. On l'appelle le "campement du Millénaire", à cause du centre commercial du même nom, tout proche. [...] Nous longeons le canal Saint-Martin. Il n'y a que trois points d'eau et quelques toilettes en préfabriqué installées par la Ville de Paris pour les mille cinq cents migrants qui se trouvent là, après avoir fui leurs pays. Ils sont érythréens, soudanais, somaliens ou afghans. (Où se situent ces pays ? Je ne les connais même pas, je ne reconnais, à travers ces milliers de visages anonymes à la peau sombre, que cette allure que nous avions, nous autres, au lendemain de la libération, ainsi que cette odeur qui caractérisait les camps de DP [Displaced Persons], celle du bois humide.)[...]
J'entends tes paroles sans les comprendre. J'ai l'impression que tu parles soudain une langue étrangère, à moins qu'elle ne soit au contraire trop familière pour moi. Si tu dis vrai, je retiens une chose : Ces gens-là sont, en somme, des William terrorisés à l'idée d'être refoulés, des Boys comme lui, comme nous, qui ont fui la guerre ? Mais quelle guerre ? Il y a donc encore eu une guerre, une putain de guerre ? Où ça ?"


Romanesquement parlant, la deuxième partie est bien plus captivante. Elle se tient mieux car elle n'est pas "juste" un recueil de souvenirs épars mais un récit heure par heure, au jour le jour, puis au fil des semaines, mois et années, de ce qu'a pu être la vie quotidienne d'une femme et de sa famille sous le joug de la RDA et de la terrifiante Stasi.

De ma position de lectrice adulte ayant déjà de bonnes bases historiques, ce roman classé littérature ado a éveillé en moi des envies d'en lire plus sur le contexte de la construction du mur de Berlin et sur la vie en RDA, et c'est tout ce que j'aime quand une lecture m'invite à d'autres découvertes. Une ou deux références tirées de la petite bibliographie situées à la fin du livre m'intéressent tout particulièrement.
Le récit de la construction du mur de Berlin sur 48 h est tout particulièrement prenant !

Si j'essaie de me positionner d'un point de vue plus néophyte, comme pourrait l'être celui d'un lecteur de 15 ans, qui n'aurait pour seul appui à cette lecture que de vagues cours d'histoire, la préhension et la compréhension du récit, dans sa première moitié, sera un peu plus difficile. Je ferai ici la même remarque que j'ai pu faire il y a 6 ans, quand j'ai chroniqué Max, un précédent roman de la même auteure, traitant du sujet des Lebensborn, dont je n'avais que vaguement ouï dire à l'époque. Un socle de connaissances théoriques sur le sujet traité me semble quasiment indispensable pour apprécier le roman.
J'en veux pour exemple le récit au début d'Août 61 des marches de la mort qu'a vécues le jeune Beniek. Je sais ce qu'ont été les marches de la mort donc je n'avais pas besoin d'exposé sur le sujet et ceci m'a permis d'apprécier pleinement le récit romanesque mais un ado en a-t-il déjà entendu parler ?
On peut peut-être aussi prendre le problème dans l'autre sens, comme je l'ai évoqué au tout début de cet article, et se dire que la fiction ici est un prétexte, une occasion, une porte d'entrée pour accéder à l'Histoire, et que tout lecteur un minimum curieux aura envie de se documenter pour en savoir plus.


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