Voici donc le premier roman que je lis de Christian Oster.
Cet auteur, que je ne connaissais pas, qui a commencé par le polar et qui écrit aussi des livres pour la jeunesse , a un style d'écriture qui prend le dessus sur tout.
La fiche wikipedia qui lui est consacrée - oui, je n'ai pas eu à chercher bien loin - en parle très bien : « Un style particulièrement porté sur le langage plutôt que sur l'histoire en elle-même »
On ne sait donc, finalement, pas grand-chose sur les personnages. Moi qui aime bien tout connaître, avoir toutes les clés, je vous dirais qu'il y a plein de zones d'ombre mais j'ai conscience que l'intérêt du roman n'est pas là.
Christian Oster dépeint tout simplement, mais avec excellence, la réalité quotidienne d'un homme dans la société, sans grande péripétie.
Jean, 55 ans, célibataire et sans enfant, vit à Paris et tient une chronique dans un journal local de Chartres. Une relation amoureuse qui s'étiole et à laquelle il ne va pas tarder à mettre fin, et un ami, Paul, de 20 ans son cadet, qu'il héberge provisoirement et qu'il aide dans ses recherches d'appartement.
Une nouvelle voisine débarque dans son immeuble, une certaine Elisabeth, qui le reconnaît tout de suite sauf que lui ne se souvient pas du tout d'elle.
Un jour, alors que Paul l'accompagne à un enterrement, celui-ci disparaît sans laisser de trace.
À partir de là, Jean semble prendre conscience de la platitude de sa vie qu'il ressent comme en train de s'émietter.
Il décide de partir, pour changer d'air, pour faire le point. Pas au bout du monde, non. Il prend un train, un peu au hasard et atterrit à côté de Chartres. Il prend une chambre à l'hôtel et en profite pour aller rendre visite à son supérieur hiérarchique, Andrieu, au siège du journal.
J'arrête là le résumé pour garder un peu de suspense dans cette histoire, si tant est qu'on puisse en trouver.
En effet, il ne s'y passe pas grand-chose, si ce n'est les errements de Jean dans et autour de Chartres, des non-événements qui sont liés entre eux par le plus simple des hasards.
Et pourtant... Le lecteur est tout de même pris. Il ne lâche pas le livre, emporté par le style de l'auteur qui procure un pur plaisir de lecture.
Et pourtant... Le lecteur est tout de même pris. Il ne lâche pas le livre, emporté par le style de l'auteur qui procure un pur plaisir de lecture.
« L'unique péripétie est celle du romancier qui se déplace dans l'écriture » et « l'écrivain consacre plus d'importance à ses tournures de phrases qu'à l'univers représenté », comme le dit si bien, encore une fois, la fiche wikipedia.
Je situe l'apogée de l'action dans la fameuse promenade à vélo de Jean dans la Beauce, qui peine quelque peu à suivre son collègue Andrieu, et sa chute à vélo. C'est simple : on s'y croirait !
Quant à l'apogée du suspense, pour moi, c'est LA rencontre, à la fin du livre. Sans surprise, elle n'a rien d'extraordinaire mais c'est tellement bien écrit que le roman semble (enfin) s'illuminer.
Extrait p. 127 :
"Je m'éveillai le premier des trois. Il faisait beau. J'occupai brièvement la salle de bains, m'habillai, allai préparer le café dans la cuisine. Je craignais qu'elle ne surgisse, avant Andrieu, dans la lumière du jour, ce qui allait forcément se passer. Toutefois, au moment où ça se produisit, et bien que je n'eusse pas ignoré que ça allait se produire, je ne m'y attendais pas. Je tournais quand même le dos à la porte de la cuisine, de façon à ne pas être saisi. Je préférais d'abord l'entendre. Je l'entendis. Il eût été impoli de ne pas réagir. Je me retournai avec aux lèvres la sorte de sourire que j'avais préformé face à la cafetière.
Évidemment, je la vis d'un bloc. Ou plutôt non. Elle partait dans tous les sens. Une épaule là, un mot ici pour demander si j'avais bien dormi, finalement, la courbe d'une hanche, la pâleur du visage, la bouche, souriant mieux que la mienne, en tout cas, d'où sortaient encore les mots qu'elle venait de prononcer, comme répercutés en pleine montagne, et, au milieu de cette panique, le regard, auquel, paradoxalement, pour rétablir un peu d'ordre, je tentait de me raccrocher.
Quand j'aurais dû le fuir, bien sûr. Ç'aurait été plus simple. Elle dut prendre ça, j'imagine, pour une insistance. À moins que, de l'extérieur, un témoin neutre n'eût seulement rapporté que nous échangions, nous étant aperçus pour la première fois la veille, ce genre de regard banal où l'on met, en demi-teinte, la gêne de ne pas se connaître. Je priai, dans l'incapacité où je me trouvais maintenant de détourner les yeux - j'étais en appui, de dos, contre le plan de travail, qui m'apportait quelque soutien -, pour qu'elle les détournât elle, ou que du moins la réponse que je venais de lui faire concernant mon sommeil - très bien, merci, et vous ? - ne se mît pas à résonner à son tour, nos mots se mêlant alors d'une manière de brouhaha qui eût achevé de me troubler et de lui faire croire que j'étais la proie d'un malaise.
Par chance, nulle cacophonie ne s'installa. "
Quand j'aurais dû le fuir, bien sûr. Ç'aurait été plus simple. Elle dut prendre ça, j'imagine, pour une insistance. À moins que, de l'extérieur, un témoin neutre n'eût seulement rapporté que nous échangions, nous étant aperçus pour la première fois la veille, ce genre de regard banal où l'on met, en demi-teinte, la gêne de ne pas se connaître. Je priai, dans l'incapacité où je me trouvais maintenant de détourner les yeux - j'étais en appui, de dos, contre le plan de travail, qui m'apportait quelque soutien -, pour qu'elle les détournât elle, ou que du moins la réponse que je venais de lui faire concernant mon sommeil - très bien, merci, et vous ? - ne se mît pas à résonner à son tour, nos mots se mêlant alors d'une manière de brouhaha qui eût achevé de me troubler et de lui faire croire que j'étais la proie d'un malaise.
Par chance, nulle cacophonie ne s'installa. "
Le style de Christian Ostier me semble simple à décrire tellement il saute aux yeux :
Des phrases souvent longues, voire interminables, car pleines de digressions, mais heureusement très bien ponctuées à coups de virgules, de tirets, et de « qui » ou de « dont », introduisant des propositions subordonnées employées à plusieurs reprises d'une manière très particulière, à la limite du « pas français » aurait dit ma prof de 2nde.
Exemple p. 27 : "J'éprouvais, en ces instants, la sensation que m'échappaient pas mal de choses. La disparition de Paul, sans doute, me préoccupait, dont je ne parvenais même pas à recenser les causes éventuelles, me heurtant, peut-être, en ces circonstances, à un manque d'imagination qui m'avait parfois joué des tours."
On note aussi la rareté des dialogues et quand ils sont présents, ils ne sont jamais marqués mais noyés dans la narration.
Une fin qui n'en est pas une - mais pas du tout - une histoire qui s'arrête net d'un coup, tout ce que je n'aime pas trop. Dommage pour moi. ;-)
Pour terminer, je vous livre un dernier extrait - toujours se rapportant à la fameuse rencontre finale - quelques phrases que je trouve délicieuses, comme il y en a quelques-unes dans ce livre...
Extrait p. 130 : "C'était la première fois que je la voyais en présence d'Andrieu, mais aussi que je voyais Andrieu avec elle, ce qui faisait également beaucoup. J'attendis qu'entre eux se fît jour une attitude, quelque chose qui me rendît la tonalité de leurs rapports, mais ils ne me livrèrent rien. De toute façon, je n'allais pas passer la journée à continuer à tomber amoureux d'elle sous le nez d'Andrieu, ni même sous le sien, me dis-je, ça va bien comme ça. Et puis je l'ai assez vue, j'ai des images d'elle pour vingt ans. Je me sentais épuisé."
Un auteur à découvrir et dont je serai curieuse de lire un autre roman si l'occasion se présente !
Extrait p. 130 : "C'était la première fois que je la voyais en présence d'Andrieu, mais aussi que je voyais Andrieu avec elle, ce qui faisait également beaucoup. J'attendis qu'entre eux se fît jour une attitude, quelque chose qui me rendît la tonalité de leurs rapports, mais ils ne me livrèrent rien. De toute façon, je n'allais pas passer la journée à continuer à tomber amoureux d'elle sous le nez d'Andrieu, ni même sous le sien, me dis-je, ça va bien comme ça. Et puis je l'ai assez vue, j'ai des images d'elle pour vingt ans. Je me sentais épuisé."
Un auteur à découvrir et dont je serai curieuse de lire un autre roman si l'occasion se présente !
Je l'avais offert à mon père (chartrain) qui a trouvé ça très mauvais, je vais pt tenter quand même puisque tu as trouvé ça prenant !
RépondreSupprimerAh non, ce n'est pas « très mauvais » !
SupprimerC'est vraiment très bien écrit et si ça ne l'était pas, oui, ça serait très chiant.
Emprunte-le donc à ton père pour te faire un avis. ;-)