Michel Rostain, "vieux" metteur en scène mais jeune auteur, signe ici son deuxième roman.
L'étoile et la vieille est l'histoire d'une rencontre improbable : celle d'un metteur en scène d'une soixantaine d'années, féru de musique savante, voire élitiste, avec Odette, reine vieillissante (très) de l'accordéon, incarnation de la musique dans tout ce qu'elle a de plus populaire. Une légende mais rangée plutôt du côté des has been.
À la limite entre l'autobiographie et la fiction, Michel Rostain nous sert un bel exemple d'autofiction.
Le doute n'est pas permis quand il évoque son épouse, Martine, cantatrice, et son fils, Lion, deux personnes que le lecteur a déjà rencontrées dans son précédent livre autobiographique, Le fils.
Quant à Odette, c'est beaucoup Yvette Horner. Ici aussi, le doute n'est pas permis dès que l'on parle de reine de l'accordéon, d'artiste populaire, de chevelure rousse, de Tour de France, et cetera, et cetera.
Mais Michel Rostain fait une mise au point à la page 59, par le biais de cet étonnant chapitre "hors du récit".
Il a réellement préparé un projet avec Yvette Horner en 2002 et a vraiment été fasciné par le personnage mais "les années ont déformé les souvenirs" et il y a beaucoup de différences entre la réalité des répétitions et celles du livre.
Extrait p. 61 : "L'étoile et la vieille a pris ce tour : un étrange mélange de quelques souvenirs et de beaucoup de fictions. Les filtres de la mémoire avaient largement pris la main. Dix ans avaient passé, l'âge avait pris de plus en plus de place, la retraite, le corps qui va se dégrader, les dernières œuvres, etc., la mort - si on dit mort, on a l'air emphatique, si on n'emploie pas le mot, on a l'air d'un dégonflé.
Au fil du temps et des événements, le propos de mon n'aura pas été écrire le roman d'un spectacle mais écrire un roman d'initiation à ma vieillesse."
Deux êtres qui, a priori, n'étaient pas faits pour se rencontrer et encore moins travailler ensemble.
Seulement, quand le metteur croise le chemin de la star, par hasard, juste après qu'un producteur lui aie justement proposé de la mettre en scène, il se trouve littéralement magnétisé par son aura, comme satellisé par le rayonnement d'une étoile.
Quand il se rend chez elle, il fait des efforts... il prend sur lui... il supporte tout de l'univers kitch dans lequel Odette vit... à une exception près... très drôle !
Extrait p. 35 :
"Les capacités d'empathie du metteur sont immenses. Il s'applique et parvient à avaler chacune de ces horreurs, il est doué pour les exercices d'admiration. Mais il y a des limites à sa tolérance : elles sont acoustiques. S'il militait écolo, avant de se mobiliser contre le pétrole ou l'atome, il lutterait contre la pollution sonore. Ses frontières de l'imbuvable, il les atteint donc dans ce salon de star quand lui tombe dessus l'horrible rengaine d'une guirlande lumineuse accrochée au-dessus de la cheminée. Elle déroule en boucle tout en clignotant une Lettre à Élise issue des samples d'un Bontempi de chiotte. Le metteur cale là. Quoi, cette musique de merde chez Odette ? Cette minable Lettre à Élise n'est pas irrévérencieuse, ni nietzschéenne ni quoi que ce soit, ce n'est qu'une torture, une dégradation d'âme, une pollution majeure !
La guirlande ne passe pas et le mythe d'Odette prend sa première claque dans le cœur du metteur."
Quand il se rend chez elle, il fait des efforts... il prend sur lui... il supporte tout de l'univers kitch dans lequel Odette vit... à une exception près... très drôle !
Extrait p. 35 :
"Les capacités d'empathie du metteur sont immenses. Il s'applique et parvient à avaler chacune de ces horreurs, il est doué pour les exercices d'admiration. Mais il y a des limites à sa tolérance : elles sont acoustiques. S'il militait écolo, avant de se mobiliser contre le pétrole ou l'atome, il lutterait contre la pollution sonore. Ses frontières de l'imbuvable, il les atteint donc dans ce salon de star quand lui tombe dessus l'horrible rengaine d'une guirlande lumineuse accrochée au-dessus de la cheminée. Elle déroule en boucle tout en clignotant une Lettre à Élise issue des samples d'un Bontempi de chiotte. Le metteur cale là. Quoi, cette musique de merde chez Odette ? Cette minable Lettre à Élise n'est pas irrévérencieuse, ni nietzschéenne ni quoi que ce soit, ce n'est qu'une torture, une dégradation d'âme, une pollution majeure !
La guirlande ne passe pas et le mythe d'Odette prend sa première claque dans le cœur du metteur."
Instinctivement, il a accepté cette collaboration artistique à mille lieues de ce qu'il fait habituellement. Il commence alors à s'intéresser au monde musicale d'Odette, il hésite, se dit que ça ne marchera jamais mais dès qu'il se retrouve en présence d'Odette, dès qu'elle se met à parler d'elle, de sa vie, de ses expériences, entre deux airs d'accordéon, il est touché par des moments de grâce.
Moments cependant nettement nuancés par la réalité de l'âge : Odette est une vieille, avec quelques problèmes de mémoire, des difficultés à tenir debout en jouant de l'accordéon, etc. Est-elle capable de tenir tout un spectacle ?
Vous l'avez compris. L'étoile et la vieille sont une seule et même personne.
Mais l'artiste qu'est le metteur ne fait pas machine arrière et relève le défi. Il imagine même très bien le genre de spectacle qu'il pourrait mettre en scène avec elle. Pas un simple récital de titres, enchaînés les uns à la suite des autres. Bien mieux que cela : une sorte d'autobiographie musicale.
Extrait p. 39 : lors d'une rencontre chez Odette
"- Je ne peux rien avaler en ce moment, la faute à l'appareil provisoire que m'a donné le stomato. Rassure-toi, au moment du spectacle, j'aurai des implants, ce sera superbe, on ne verra plus rien ; le dentiste m'a promis que je pourrai mâcher de la vache enragée !
Avec son appareil dentaire, l'étoile fait entrer le metteur dans ses petits secrets. S'esquisse alors en lui une piste pour leur spectacle : Odette star et humaine, étoile vivante et mortelle ; ses forces et ses fragilités ; la géante et ses failles, l'éternité et le présent, son humanité derrière les apparences, etc. En racontant l'histoire de sa vie, Odette nous donnerait à rencontrer à la fois l'étoile qu'elle est depuis toujours et la vieille qu'elle est maintenant.
Le metteur s'emballe. Oh, que voilà un beau projet de théâtre musical !"
Extrait p. 39 : lors d'une rencontre chez Odette
"- Je ne peux rien avaler en ce moment, la faute à l'appareil provisoire que m'a donné le stomato. Rassure-toi, au moment du spectacle, j'aurai des implants, ce sera superbe, on ne verra plus rien ; le dentiste m'a promis que je pourrai mâcher de la vache enragée !
Avec son appareil dentaire, l'étoile fait entrer le metteur dans ses petits secrets. S'esquisse alors en lui une piste pour leur spectacle : Odette star et humaine, étoile vivante et mortelle ; ses forces et ses fragilités ; la géante et ses failles, l'éternité et le présent, son humanité derrière les apparences, etc. En racontant l'histoire de sa vie, Odette nous donnerait à rencontrer à la fois l'étoile qu'elle est depuis toujours et la vieille qu'elle est maintenant.
Le metteur s'emballe. Oh, que voilà un beau projet de théâtre musical !"
Après les premières rencontres suivront les jours de répétitions, plus ou moins au bon vouloir de l'étoile. Beaucoup d'incertitude quant à la capacité de l'étoile à pouvoir briller le jour J... Sera-t-elle prête à temps ?
Un récit forcément moins poignant que Le fils mais au sujet réellement original.
Je reste juste sceptique quant au but déclaré de ce roman, à savoir "écrire un roman d'initiation à ma vieillesse". Je ne doute pas que, dans la vraie vie, Michel Rostain ait été marqué par son expérience vécue aux côtés d'Yvette Horner, qu'il ait été amené à se poser des questions face à cette artiste qu'il a vu amenuisée physiquement, et que du coup, il se soit projeté lui-même vers sa propre vieillesse mais je n'ai trouvé quasiment aucune référence à cette quête de la vieillesse, si ce n'est 3 ou 4 paragraphes à la fin. Un peu mince. Ou alors tout est sous-entendu et il faut lire entre toutes les lignes... tout ce que je n'aime pas.
C'est pourquoi le titre de mon article ne met pas du tout en avant ce but recherché de "l'initiation à sa vieillesse", comme tel semble être le désir de l'auteur. Il met en avant uniquement mon ressenti de lectrice.
J'avoue aussi avoir eu du mal à m'identifier à l'auteur/narrateur, à sa fascination pour le clone d'Yvette Horner. L'auteur insiste bien sur cette aura dégagée par l'étoile, qui magnétise tous ceux qui la croisent. Pas forcément toujours crédible.
Tout juste, Michel Rostain reconnaît-il, à la fin du livre, que son Odette n'a peut-être pas une attraction aussi universelle qu'il le pense...
Extrait p. 201 : un groupe de collégiens a assisté à la dernière répétition du spectacle
"Après pareille grande scène, la contagion est assurée, ces jeunes ont dû choper des maladies artistiques incurables. En les croisant, le metteur éprouve même comme un sentiment de devoir accompli. Au moins, sur ce front missionnaire de l'action culturelle, il aura fait son boulot.
Un collégien le reconnaît. Une bouteille de Coca à la main, un Bounty dans l'autre, ses inévitables écouteurs vissés dans les oreilles, le jeune traverse la rue et l'apostrophe :
- Hé ! M'sieur, elle est complètement dingue la vieille...
Le morveux, il n'a rien ressenti ? Déception brutale. Une méchante hargne saisit le metteur :
- Faudrait peut-être que tu commences par débrancher ton iPod !
Aussitôt lâchée la formule, le metteur se sent vieux con. Très vieux.
Et si l'émotion et la beauté n'étaient pas aussi contagieuses qu'il croit ?"
Il n'en reste pas moins que Michel Rostain possède un réel talent d'écriture, une plume reconnaissable, souvent ironique et drôle ici.
Son roman ne ressemble à aucun autre et m'a très agréablement changé de mon quotidien littéraire.
Je remercie Babelio et Kero, toute nouvelle maison d'édition (même pas un an !) pour m'avoir proposé cette lecture.
C'est pourquoi le titre de mon article ne met pas du tout en avant ce but recherché de "l'initiation à sa vieillesse", comme tel semble être le désir de l'auteur. Il met en avant uniquement mon ressenti de lectrice.
J'avoue aussi avoir eu du mal à m'identifier à l'auteur/narrateur, à sa fascination pour le clone d'Yvette Horner. L'auteur insiste bien sur cette aura dégagée par l'étoile, qui magnétise tous ceux qui la croisent. Pas forcément toujours crédible.
Tout juste, Michel Rostain reconnaît-il, à la fin du livre, que son Odette n'a peut-être pas une attraction aussi universelle qu'il le pense...
Extrait p. 201 : un groupe de collégiens a assisté à la dernière répétition du spectacle
"Après pareille grande scène, la contagion est assurée, ces jeunes ont dû choper des maladies artistiques incurables. En les croisant, le metteur éprouve même comme un sentiment de devoir accompli. Au moins, sur ce front missionnaire de l'action culturelle, il aura fait son boulot.
Un collégien le reconnaît. Une bouteille de Coca à la main, un Bounty dans l'autre, ses inévitables écouteurs vissés dans les oreilles, le jeune traverse la rue et l'apostrophe :
- Hé ! M'sieur, elle est complètement dingue la vieille...
Le morveux, il n'a rien ressenti ? Déception brutale. Une méchante hargne saisit le metteur :
- Faudrait peut-être que tu commences par débrancher ton iPod !
Aussitôt lâchée la formule, le metteur se sent vieux con. Très vieux.
Et si l'émotion et la beauté n'étaient pas aussi contagieuses qu'il croit ?"
Il n'en reste pas moins que Michel Rostain possède un réel talent d'écriture, une plume reconnaissable, souvent ironique et drôle ici.
Son roman ne ressemble à aucun autre et m'a très agréablement changé de mon quotidien littéraire.
Je remercie Babelio et Kero, toute nouvelle maison d'édition (même pas un an !) pour m'avoir proposé cette lecture.
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Et hop, un p'tit mot !