Une femme, Rachel, victime de sa passion trop grande pour un homme sadomasochiste, a tenté de mettre fin à ses jours et se retrouve plusieurs mois en hôpital psychiatrique pour se reconstruire.
Encore une histoire de femme victime pourrez-vous penser... un sujet assez difficile mais traité sans aucune débauche de scènes racoleuses.
Loin de présenter son personnage principal comme une pauvre malheureuse, innocente, dont on dresse le catalogue des humiliations et souffrances subies, tout l'art d'Olivia Profizi est de nous dévoiler, petit à petit, comment Rachel est arrivée à accepter le pire, et de nous proposer en parallèle, grâce à une alternance de chapitres, le point de vue de celui qui tient le mauvais rôle, celui du "bourreau".
Une jeune femme désespérée par une rupture amoureuse, qui se raccroche à un homme marié de soixante ans, Maxence, un très bon ami de sa mère.
Celui-ci, peintre copiste, est porté sur les relations sexuelles extrêmes depuis depuis toujours. Il va l'entraîner, consentante, dans une spirale destructrice.
Rachel prend des notes tout au long de son séjour en HP, dans son journal intime. Elle donne au lecteur le cheminement de sa pensée, rapporte ses entretiens laborieux de thérapie cognitive avec le docteur Lasalle, thérapie qu'elle rejette dans un premier temps (classique), rapporte ses échanges avec sa mère qui ne comprend encore pas tout ce qui est arrivé à sa fille mais qui la supporte indéfectiblement. Elle rapporte aussi ses confidences à la douce infirmière Lena, à qui elle confie tout ce qu'elle n'ose pas dire à sa mère.
De son côté, Maxence, l'homme pervers, qui a emmené Rachel - ou plutôt devrais-je dire Lucie, le prénom qu'elle s'était choisie pour les rôles qu'elle acceptait de jouer pour lui - dans les salles souterraines de nombreux clubs SM, doit faire face à la fin de vie son père. Un père, atteint d'Alzheimer, qui vit en maison de retraite, auquel il rend visite tous les mois et qui est subitement victime d'un AVC.
Gabrielle, la mère de Rachel, a rejeté son ami dès qu'elle a appris qu'il est la cause du malheur de sa fille.
Maxence, lui, complètement pris dans son monde noir, ne comprend pas le geste de Rachel...
En pensée, il s'adresse à Gabrielle :
p. 124 :
"Si tu pouvais m'entendre, Gabrielle, je te dirais que ni moi ni personne n'a jamais forcé ta fille à faire quoi que ce soit. Elle a toujours eu le choix. Et, chose que jamais tu ne voudrais croire, elle m'a toujours remercié. Je lui ai ouvert une porte sur un monde que très peu de femmes ont la chance de connaître un jour. Rachel est devenue accro, tout de suite. Rien d'étonnant, le sexe extrême est une drogue dure, j'en suis moi-même une preuve. Elle avait une idée fixe, cependant, que j'essayais d'ôter de son esprit. Elle affirmait que sans moi rien de tout cela ne serait arrivé. Tout ce qu'elle accomplissait n'avait de sens que sous mon regard. La vérité relève plutôt d'un heureux hasard. Je suis persuadé qu'un autre aurait aussi bien fait l'affaire, même mieux, plus jeune, plus endurant. Même si, je dois le reconnaître, ma maturité a joué en ma faveur.
Un jour, Rachel m'a écrit ceci : « Je suis ton esclave, bien plus que tu ne le crois. » J'avoue, cela m'a fait peur. Quelle serait la prochaine étape ? « Quitte ta femme et allons vivre enchaînés l'un à l'autre » ?"
En pensée, il s'adresse à Gabrielle :
p. 124 :
"Si tu pouvais m'entendre, Gabrielle, je te dirais que ni moi ni personne n'a jamais forcé ta fille à faire quoi que ce soit. Elle a toujours eu le choix. Et, chose que jamais tu ne voudrais croire, elle m'a toujours remercié. Je lui ai ouvert une porte sur un monde que très peu de femmes ont la chance de connaître un jour. Rachel est devenue accro, tout de suite. Rien d'étonnant, le sexe extrême est une drogue dure, j'en suis moi-même une preuve. Elle avait une idée fixe, cependant, que j'essayais d'ôter de son esprit. Elle affirmait que sans moi rien de tout cela ne serait arrivé. Tout ce qu'elle accomplissait n'avait de sens que sous mon regard. La vérité relève plutôt d'un heureux hasard. Je suis persuadé qu'un autre aurait aussi bien fait l'affaire, même mieux, plus jeune, plus endurant. Même si, je dois le reconnaître, ma maturité a joué en ma faveur.
Un jour, Rachel m'a écrit ceci : « Je suis ton esclave, bien plus que tu ne le crois. » J'avoue, cela m'a fait peur. Quelle serait la prochaine étape ? « Quitte ta femme et allons vivre enchaînés l'un à l'autre » ?"
Oui, le sujet est troublant, à la limite du glauque parfois, mais ne l'est jamais. L'écriture d'Olivia Profizi y est pour beaucoup. C'est très bien écrit et ça sonne toujours vrai. Au point que je me suis demandé s'il n'y avait pas du vécu personnel là-dedans. Apparemment non.
Les propos de Rachel, notamment quand elle retrace les dialogues avec son psy, sont remplis d'un humour ironique qui allège grandement le sujet. Elle fait montre également de beaucoup d'analyse envers son vécu.
Les propos de Rachel, notamment quand elle retrace les dialogues avec son psy, sont remplis d'un humour ironique qui allège grandement le sujet. Elle fait montre également de beaucoup d'analyse envers son vécu.
Dès le départ, on se doute que celle-ci va remonter la pente tandis que, par opposition, Maxence reste englué dans un monde sombre.
L'auteure est futée. En nous faisant partager les pensées de Maxence, elle adopte une position objective, sans prendre le parti d'une victime face à son bourreau. L'homme n'est d'ailleurs jamais présenté comme tel, même pas par Rachel. Celle-ci est pleinement consciente de sa propre responsabilité dans sa chute au plus profond de cette relation destructrice, mais consentie, et le travail de thérapie est là pour l'aider à démêler ses nœuds intérieurs.
L'auteure est futée. En nous faisant partager les pensées de Maxence, elle adopte une position objective, sans prendre le parti d'une victime face à son bourreau. L'homme n'est d'ailleurs jamais présenté comme tel, même pas par Rachel. Celle-ci est pleinement consciente de sa propre responsabilité dans sa chute au plus profond de cette relation destructrice, mais consentie, et le travail de thérapie est là pour l'aider à démêler ses nœuds intérieurs.
Il y a de beaux moments, des moments forts, comme celui où la mère de Rachel se livre à cœur ouvert à sa fille...
Extrait p. 106 :
"Ma mère a changé de ton. Elle se redresse, ralentit le pas, cesse de sourire. Dieu que j'ai peur, pourquoi ai-je encore si peur de ma mère ? J'ai peur et j'ai honte, je rougis et transpire, et Gabrielle voit tout ça mais c'est son moment à elle, qu'importe si elle a compté vingt pas avant de se lancer ou si elle s'est décidée subitement. Et moi, j'ai dix ans, et j'ai peur de me faire engueuler.
- Tu dois te demander ce que j'ai fait de ce que tu m'as dit lorsque tu étais aux urgences.
- Maman, justement, je voulais te dire, avec les médicaments et tout, je ne me rappelle plus trop...
- Laisse-moi parler, Rachel. Si tu m'interromps alors peut-être que je ne saurai plus, peut-être que je déciderai de me taire pour toujours.
Comme c'est étrange d'entendre ces mots dans la bouche de ma mère, « pour toujours », et pourtant c'est bien elle, ce qu'elle a toujours été ou ce qu'elle est devenue, peu importe. Je dois me taire. J'ai peur de la laisser parler, peur de ce que je vais entendre.
Gabrielle est calme, elle ne tremble plus. Elle parle.
- Plus tard, peut-être me raconteras-tu ce qui s'est vraiment passé avec Maxence. [...] J'aurais besoin de savoir, de connaître les endroits où il t'a emmenée, de savoir qui étaient ces hommes, étaient-ce des amis ? [...] J'aurais besoin de tout ça parce que pour le moment, Rachel, j'imagine le pire du pire. Je me réveille de mes cauchemars et je me dis : « Gabrielle, ce n'est sans doute pas un cauchemar, c'est, ce fut la réalité de ta fille », et je ne vais pas supporter ça longtemps.
Nous marchons lentement, nous faisons presque du surplace, j'ai mal à l'âme, j'ai mal au cœur, la bête en moi me dévore, je dois endurer ça, je ne dois surtout pas interrompre ma mère. Elle parle sans colère, sans haine, elle expose des faits, elle énonce des questions, elle préparer le terrain, elle pose des conditions, elle se protège.
[...]
Elle ne tremble pas, ma mère, mais elle me sent trembler de la tête aux pieds, toujours accrochée à son bras, mais ce n'est pas cela qui va l'arrêter. D'ailleurs, elle ne s'arrête pas.
- Ça ne m'étonne pas que tu ne te souviennes pas de ce que tu m'as raconté, tu étais à peine sortie du sommeil et tu flottais encore drôlement. Tu avais du mal à articuler et je devais te faire répéter, parfois. Ce n'était pas une partie de plaisir, crois-moi. Rachel, tu dois savoir quelque chose (sa voix s'adoucit). J'ai rayé Maxence de ma vie. Et je m'en moque éperdument, tu comprends ? Je lui ai écrit, Rachel. Il sait que je sais. Il sait que c'est fini.
Elle répète : « C'est fini. Terminé. »
Mes larmes jaillissent au sens propre, ma poitrine se soulève brusquement, enfle, je pose une main sur ma bouche pour ne pas hurler, l'autre sur mon cœur pour l'empêcher de s'échapper de ma cage thoracique.
[...)
- Mais enfin, qu'est-ce que tu imaginais, ma chérie ? Que j'allais avoir de la peine de perdre un ami ? Que j'allais t'en vouloir ?
Je ne peux pas répondre, je pleure mon soulagement, je pleure ma joie, j'ai envie de crier, de courir, mais je ne fais que pleurer, pleurer et gémir."
Un autre moment fort est celui où Maxence se confronte à sa femme, vers la fin de l'histoire.
Extrait p. 106 :
"Ma mère a changé de ton. Elle se redresse, ralentit le pas, cesse de sourire. Dieu que j'ai peur, pourquoi ai-je encore si peur de ma mère ? J'ai peur et j'ai honte, je rougis et transpire, et Gabrielle voit tout ça mais c'est son moment à elle, qu'importe si elle a compté vingt pas avant de se lancer ou si elle s'est décidée subitement. Et moi, j'ai dix ans, et j'ai peur de me faire engueuler.
- Tu dois te demander ce que j'ai fait de ce que tu m'as dit lorsque tu étais aux urgences.
- Maman, justement, je voulais te dire, avec les médicaments et tout, je ne me rappelle plus trop...
- Laisse-moi parler, Rachel. Si tu m'interromps alors peut-être que je ne saurai plus, peut-être que je déciderai de me taire pour toujours.
Comme c'est étrange d'entendre ces mots dans la bouche de ma mère, « pour toujours », et pourtant c'est bien elle, ce qu'elle a toujours été ou ce qu'elle est devenue, peu importe. Je dois me taire. J'ai peur de la laisser parler, peur de ce que je vais entendre.
Gabrielle est calme, elle ne tremble plus. Elle parle.
- Plus tard, peut-être me raconteras-tu ce qui s'est vraiment passé avec Maxence. [...] J'aurais besoin de savoir, de connaître les endroits où il t'a emmenée, de savoir qui étaient ces hommes, étaient-ce des amis ? [...] J'aurais besoin de tout ça parce que pour le moment, Rachel, j'imagine le pire du pire. Je me réveille de mes cauchemars et je me dis : « Gabrielle, ce n'est sans doute pas un cauchemar, c'est, ce fut la réalité de ta fille », et je ne vais pas supporter ça longtemps.
Nous marchons lentement, nous faisons presque du surplace, j'ai mal à l'âme, j'ai mal au cœur, la bête en moi me dévore, je dois endurer ça, je ne dois surtout pas interrompre ma mère. Elle parle sans colère, sans haine, elle expose des faits, elle énonce des questions, elle préparer le terrain, elle pose des conditions, elle se protège.
[...]
Elle ne tremble pas, ma mère, mais elle me sent trembler de la tête aux pieds, toujours accrochée à son bras, mais ce n'est pas cela qui va l'arrêter. D'ailleurs, elle ne s'arrête pas.
- Ça ne m'étonne pas que tu ne te souviennes pas de ce que tu m'as raconté, tu étais à peine sortie du sommeil et tu flottais encore drôlement. Tu avais du mal à articuler et je devais te faire répéter, parfois. Ce n'était pas une partie de plaisir, crois-moi. Rachel, tu dois savoir quelque chose (sa voix s'adoucit). J'ai rayé Maxence de ma vie. Et je m'en moque éperdument, tu comprends ? Je lui ai écrit, Rachel. Il sait que je sais. Il sait que c'est fini.
Elle répète : « C'est fini. Terminé. »
Mes larmes jaillissent au sens propre, ma poitrine se soulève brusquement, enfle, je pose une main sur ma bouche pour ne pas hurler, l'autre sur mon cœur pour l'empêcher de s'échapper de ma cage thoracique.
[...)
- Mais enfin, qu'est-ce que tu imaginais, ma chérie ? Que j'allais avoir de la peine de perdre un ami ? Que j'allais t'en vouloir ?
Je ne peux pas répondre, je pleure mon soulagement, je pleure ma joie, j'ai envie de crier, de courir, mais je ne fais que pleurer, pleurer et gémir."
Un autre moment fort est celui où Maxence se confronte à sa femme, vers la fin de l'histoire.
J'ai été aussi très touchée par les pages évoquant les sentiments de Rachel enfant face à la séparation de ses parents, et le manque du père qu'elle a ressenti, même si la séparation s'est faite sans heurt.
Mon regret ? Que les origines des démons intérieurs qui ont poussé Maxence vers ce type de relations perverses avec les femmes ne soient pas expliquées. Ou si peu... on comprend qu'il y a quelque-chose à voir avec le comportement de son père, son goût du secret pour sa collection d'histoires de saints et de martyrs, mais je m'attendais à plus de révélations.
Sans surprise, l'histoire se termine avec la sortie de Rachel tandis que Maxence, de plus en plus seul, s'en retourne fréquenter les clubs SM. De même qu'on ne sait pas vraiment comment Maxence s'est enfoncé dans ses zones d'ombre, on ne saura pas exactement comment Rachel s'est reconstruite psychologiquement.
Sans surprise, l'histoire se termine avec la sortie de Rachel tandis que Maxence, de plus en plus seul, s'en retourne fréquenter les clubs SM. De même qu'on ne sait pas vraiment comment Maxence s'est enfoncé dans ses zones d'ombre, on ne saura pas exactement comment Rachel s'est reconstruite psychologiquement.
Pour un premier roman, c'est vraiment un très bon roman, remarquable.
Et remarqué par Nancy Huston, elle-même. Les deux femmes ont noué une relation épistolaire et l'aînée est devenue une sorte de marraine pour la jeune écrivaine.
Olivia Profizi vit et travaille à Lille. Elle a d'abord été animatrice socio-culturelle puis institutrice. Elle a profité d'un congé parental pour se lancer à fond dans l'écriture de son roman.
Envoyé à un seul éditeur, Actes Sud, celui-ci a été publié de suite.
Et remarqué par Nancy Huston, elle-même. Les deux femmes ont noué une relation épistolaire et l'aînée est devenue une sorte de marraine pour la jeune écrivaine.
Olivia Profizi vit et travaille à Lille. Elle a d'abord été animatrice socio-culturelle puis institutrice. Elle a profité d'un congé parental pour se lancer à fond dans l'écriture de son roman.
Envoyé à un seul éditeur, Actes Sud, celui-ci a été publié de suite.
Je suis contente que tu ais aimé ce premier roman. Il est certes troublant et difficile mais il y a quelque chose qui nous attache à cette jeune fille perdue. Une auteure sensible à suivre.
RépondreSupprimerCôté lecture, je suis totalement dépassée en ce moment...
RépondreSupprimerDépassée, car je lis si peu!
Peut-être qu'avec l'été...
Bon weekend Céline!